dimanche 14 mars 2010

Les bouts du monde

D'attitude nonchalamment distinguée, Mr M. semble dissimuler amabilité et intérêt sous des dehors rugueux. Entrant d'un pas assuré dans la boulangerie alors que le pain crépite encore de chaleur, il m'alpague abruptement:
- Alors c'est toi qui pars au Groenland?
- Et bien... Oui c'est moi, mais non je ne pars pas au Groenland.
(Imaginez tout de même bien mon étonnement de le découvrir prévenu d'un départ dont les formes émergeaient alors à peine d'un lointain brouillard.)
- Et tu vas où alors?
- Sur une île bien moins connue, loin au-dessus de la Norvège...
- Moi je connais le Spitzberg, ça te dit quelque chose?
- Ben un peu oui: c'est là que je vais!

Mr M. y est parti il y a cinq ans avec sa femme et en a fait le tour à bord d'un ancien brise-glace de l'armée soviétique reconverti en navire de croisière rustique. Il en a ramené un film ainsi que pas mal de photos, qu'il nous invite à venir découvrir.
- Comme ça tu pourras voir à quoi ça ressemble là où tu vas! Parce que c'est vraiment impressionnant, immense et sauvage, les conditions sont si rudes qu'on n'y a accès que l'été...
- En fait pas vraiment, j'y pars en avril...
- Ah bon? Mais alors tu dois arriver parmi les premiers car avant il n'est pas possible d'y aller.
- Je pense que si, car je pars pour un an et y passerais donc l'hiver...
Interlocage (en lequel je n'ose percevoir une pointe d'incrédulité), subtilement masqué:
- Ah. Alors mets-moi un pain rustique et un au kamut, et on se tient au courant pour cette soirée.

Surprise donc: St Julien de Jonzy est le genre de village qui ferait passer Chauffailles pour une mégalopole frénétique, une bonne partie de mon entourage n'est pas encore au courant de mon voyage, et j'imagine que le Spitzberg n'est pas le genre de destination qui remplit des charters...

C'est ainsi qu'empli d'une curiosité un peu diluée par l'accélération de la vie à l'approche du départ, je me suis retrouvé lundi soir affalé aux côtés de Charlotte et Ben dans un moelleux divan, écoutant un récit qui laissait clairement percevoir le contentement éprouvé par son auteur à le partager.
Le film une fois fini, alors que, sirotant un Porto de 20 ans d'âge devant un album de photos, nous lui faisions part de l'impression que nous laissaient son salon-salle de cinéma et sa demeure dans son ensemble, dont la rénovation avait été remarquable, il nous confie d'un air irrité que « ça n'a pas été facile quand même: toutes les agences nous proposaient des châteaux, alors que nous, ce qu'on voulait, c'était une maison! Bon une grande maison avec du terrain, mais pas un château vous comprenez? ».

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