lundi 2 mai 2011

Transformettes

Quand je fais de la mécanique, je chante ou je réfléchis – les deux je peux pas.
En fait, le chant ne surgit que lorsque l'espace vacant entre mes deux oreilles se laisse emplir de musique, comme si mon corps entrait en résonance avec ces mélodies qui me touchent et que cette émotion, née du ventre, amplifiée par les poumons, matérialisée dans la gorge, sculptée par la bouche, revenait se couler dans l'onde qui l'a fait naître.
Et ces derniers temps, j'ai fait beaucoup de mécanique. Parfois la complexité de l'opération, l'incertitude de l'aboutissement de la manipulation, ou la difficulté technique de sa réalisation font que je ne suis que doigts graisseux, yeux et tympans. D'autres fois l'intervention est simple, maîtrisée, et avec un semblant d'assurance nonchalamment prétentieuse je me laisse aller à un fredonnement qui, au gré de l'humeur et de l'occupation du bâtiment, peut enfler en un chant libre et énergique. A l'occasion d'une pause mon esprit s'enchante des subtilités du technicisme et rend hommage à toutes ces petites merveilles que l'on ne célèbrera jamais à leur juste valeur et dont les simples noms enflamment l'imagination... Quel éclair de génie a traversé l'inventeur de la clé à pipe (qui a même été intégrée dans une clé plate) ? De quelle imagination perfectionniste et tortueuse s'est échappée la pince à dénuder ? La vis auto-taraudeuse n'est-elle autre chose que la valorisation d'une faiblesse structurelle ? Et quelle joie d'enfant à la fête foraine, après des heures passées à tenter de récupérer dans un moteur une fuyante vis de purge de carburateur, que de découvrir l'existence de la pince à griffes flexibles et de sa cousine magnétique... J'en suis ainsi venu à considérer que, remontant aux fondamentaux, le monde tel qu'on le connaît ne saurait exister sans brosse métallique ni WD 40, qui sont la brosse à dents et le dentifrice du mécanicien.
C'est un de ces jours où la musique ruisselait sur moi sans m'imprégner, ou où ma voix était désaccordée, que j'en suis venu à penser au précieux Ronald qui, il y a presque un an, m'a accompagné dans mes premières auscultations d'engins défaillants en m'enseignant son paradigme : en bien des aspects, les moteurs doivent être considérés et traités comme des êtres humains. Au long de l'année je l'ai apprivoisé, m'appliquant à l'enrichir et l'affiner au gré de mes conversations valsantes à deux ou quatre temps, avec variations sur rampes communes d'injection et systèmes autolubes... Et aujourd'hui je me sens en mesure d'en exprimer une formulation mûrie, plus précise : les moteurs, à bien des égards, méritent d'être appréhendés avec les mêmes précautions que les relation.
Il s'agit déjà d'un interlocuteur dont les modalités d'expression diffèrent radicalement de celles qui nous ont été attribuées et que l'on estime presque universellement intelligibles. Ce qui implique un effort particulier d'attention, d'empathie et de patience en vue de percevoir cet assortiment de signes contre-intuitifs dont la rationalité nous est souvent inaccessible. Car ce mécanisme complexe et sophistiqué joue de faux-semblants, de sous-entendus et de messages masqués – il aime être deviné, comme si l'attention portée à déceler et déchiffrer révélait la valeur qu'on lui accorde, l'intensité du sentiment qu'il fait naître en nous. Alors il faut s'attacher à être doux, prévenant et bienveillant, espérant que la délicatesse saura faire pardonner les inévitables maladresses, que les erreurs pourront être réparées et accroître les compétences du partenaire pénitent. Mais parfois la clé est indécryptable, l'incompréhension est infranchissable, les limites de la communication sont touchées – dans l'effroi de son abandon le préservateur n'a d'autre choix que de subir sa primitivité, cédant à la force pure là où l'intelligence et la sensibilité ont failli, s'affirmant comme un combattant armé de la détermination de son intention dans la quête de son idéal. Et souvent, avant que le surgissement malheureux de cette puissance enfouie ne vienne tourmenter sa raison, il voit avec surprise toute tension se dénouer, toute complication se résoudre, comme si la manifestation de son assertivité avait été l'objectif recherché de cet instrument passionné, à l'origine de bien des mouvements...

14 commentaires:

  1. Je tombe à l'instant par hasard sur une jolie phrase de Dostoïevski: "L'homme est une machine si compliquée que parfois on n'y comprend rien, surtout si cet homme est une femme."

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  2. Je ne t'écris plus !! J'te fais la tête !!Je suis absolument outrée !! Au nom de toutes les femmes blogdeglaçophiles, je vais créer une pétition pour obtenir des excuses publiques !
    Cela n'ôte rien, bien sûr, à la pertinence de ce que tu dis sur les femmes... bien au contraire :-(

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  3. oui mais alors j'ai un souci avec ma machine à coudre et j'attends avec impatience que ta poésie vienne la réparer !

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  4. Dis-lui des mots doux, embrasse-la gentiment, donne-lui du chocolat noir et fais lui écouter du Bill Withers. Si elle résiste c'est au-delà de mes compétences...

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  5. Et j'ai pas dis que les moteurs étaient des adolescentes rebelles :)

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  6. tu devrais ménager ta plus fidèle admiratrice sans quoi elle risque de bouder la remise des glaçons d'or cet été ! Parle-lui torsades entricotées et crochet de mémé et tout ira mieux !

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  7. (le silence qui en dit long... à méditer)

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  8. tricoteuse-coudeuse-crocheteuse-tisseuse, que voulez vous, il faut bien s'occuper !!5 mai 2011 à 22:32

    Et la coudeuse d'habits de petits malins peut parler, hein !! Moi au moins je ne fais pas de dentelle (euh... au fait, je viens de m'y mettre...)

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  9. Et moi non plus je ne fais pas dans la dentelle!
    Je la stimule ;)

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  10. celle qui a mangé la première fraise du jardin!!!6 mai 2011 à 21:50

    essaie la cnv:communication non violente , les résultats sont impressionnants!!!!
    ou qques petits pas de danse ,pour lui faire tourner la tête à défaut d'autre pièce....

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  11. l'ombre de la laine6 mai 2011 à 22:18

    oui mais là j'ai un nouveau filon : la feutrine et je crois que je m'emballe un peu - au plus grand plaisir des anniversaires de mai ! alors au défi de vous retrouver sur le terrain des activités manuelles qui font marcher le cerveau à l'endroit et régalent les lutins ! A quand une entreprise familiale ???

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  12. maman ours brun6 mai 2011 à 22:19

    et le petit bébé ours ? on attend nous !!!

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  13. Moi je suis plus habile aux activités pédestres, mais j'aime bien être régalé :)

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  14. Bon sang déjà presque deux semaines... Promis très bientôt!

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