C'est une histoire qui, bien que n'étant plus d'actualité, mérite d'être sortie du congélateur pour son charme irrésistible, cousu de tendresse et d'ingéniosité.
A la fin du mois de juin maman renard, ayant troqué sa foisonnante et virginale parure d'hiver pour une petite robe brune et svelte des beaux jours, présente au monde ses deux petits renardeaux. Porteurs de la vitalité du printemps ils bondissent hors du terrier, se battent, chassent les insectes, attaquent les plantes, se jouent des appareils photos, et se repaissent des caresses de leur infiniment patiente mère.
A peu près au même moment, mais sans aucune espèce de lien, des 3 à 5 œufs que maman Bernache Nonnette couve depuis 3 semaines sous la garde attentionnée de papa BN, pointent de petits becs curieux. Débarqués d'Écosse un mois auparavant, ils ont eu le temps de parader bruyamment, de choisir un partenaire, de régler leurs affaires, et de confectionner un nid douillet tapissé de verdure et de duvet à l'attention de leurs rejetons. Qui, au risque pour moi de céder à la facilité, renient toute oisiveté: avides d'apprentissage ils se tortillent sagement derrière leurs parents vigilants, affairés à rester à l'intérieur de la colonie sans toutefois s'y disperser... A l'issue du mois et demi qui leur sera nécessaire pour se détacher de la surface terrestre ils auront enflé à vue d'œil, perdant leur duvet grisâtre et leur rondeur maladroite de gros poussins pour afficher un port altier et un ramage qui – sans mentir – se rapporte à leur plumage.
C'est d'ailleurs durant cette période non-aérienne que maman renard, de temps à autres, se faufile furtivement à proximité de l'inconsciente colonie affairée à picorer goulument toute forme de végétation et, avec la rapidité et la précision d'un Théodore se jetant sur son éclair au chocolat de chez Duperray, traverse à une vitesse supersonique la distance qui la sépare du groupe de magrets caquetants, qu'elle pénètre dans une explosion de plumes et de cris. Et c'est là que l'intelligence et la finesse de la stratégie ne peuvent que laisser pantois d'admiration: maman renard fond sur le premier oisillon, attrape de son agile museau une patte puis l'autre, les brise, et délaisse leur braillant autant qu'immobile possesseur pour un second, puis un troisième, puis... jusqu'à ce qu'elle estime en avoir suffisamment, ou que le reste de la colonie soit hors d'atteinte. Elle récupère alors une par une ses prises, leur tord tranquillement le cou et les ramène à la maison, accueillie en fête par sa descendance transportée d'avoir de nouveaux amis avec qui jouer et partager le prochain repas.
De quoi rabattre le caquet au prétentieux canard de mon enfance, qui terminait crânement l'histoire par un « dis Maman, il est bête le renard, il ne sait même pas voler ».